Baux dérogatoires et baux commerciaux
Auteur : MEDINA Jean-Luc
Publié le :
07/04/2023
07
avril
avr.
04
2023
Aux termes de l’article L.145 -5 du Code de Commerce le bailleur et le preneur peuvent lors de l’entrée dans les lieux déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux à condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail commercial pour exploiter le même fond dans les mêmes locaux.
Si à l’expiration de cette durée, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance le locataire reste et est laissé en possession, il s’opère à un nouveau bail qui doit être qualifié de bail commercial.
Il en est de même, à l’expiration de cette durée, en cas de renouvellement express du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d’un nouveau bail pour le même local.
Ces dispositions ne sont pas applicables lorsqu’il s’agit d’une location à caractère saisonnier.
Il ne faut pas confondre dans le langage courant le bail dérogatoire et le bail précaire.
Alors que cette confusion est très souvent entretenue y compris sur des plateformes internet réputées pour leur sérieux. Le bail précaire est certes un bail dérogatoire au statut des baux commerciaux. Cependant, sa durée n’est pas limitée. Sa durée est simplement conditionnée à un événement (exemple : destruction du bien) qui rend le bail précaire.
Si un bail dérogatoire ne peut pas durer plus de 36 mois, un bail précaire peut durer plusieurs années.
Il est admis que le bail dérogatoire à un intérêt pour les commerçants en leur permettant de tester leur activité sans les contraintes des règles des baux commerciaux, parfois c’est également un intérêt pour le bailleur qui ne veut pas offrir à son locataire un droit au renouvellement en voulant conserver une certaine flexibilité dans la location de son bien qui est souvent plus rentable lorsqu’il est loué par petites périodes.
Le bail dérogatoire est effectivement déconseillé si l’exploitation du fonds de commerce du locataire nécessite des investissements importants qu’il n’aura pas le temps d’amortir sur une courte période.
Pour le bailleur, en dehors des zones n°1 ou 1 bis en termes de commercialité, il aura intérêt à favoriser la conclusion immédiate d’un bail commercial afin d’assurer une certaine stabilité dans la location du local et en évitant des périodes de vacance d’occupation.
Le bail dérogatoire comporte une tentation qui peut être mortifère pour le locataire ou le bailleur. Si le fonds de commerce qui est testé durant une courte période (36 mois maximum) s’avère être fructueux, le locataire aura tendance à vouloir se maintenir dans les locaux et à bénéficier d’un droit au renouvellement que seul peut offrir le statut des baux commerciaux.
Ainsi, les parties s’entendent parfois pour contourner les règles d’ordre public posées par l’article L.145-5 du Code de Commerce qui est très clair sur la durée totale du bail ou des baux successifs qui ne doit pas être supérieure à 3 ans.
A l’expiration de cette durée, s’il souhaite bénéficier du statut des baux commerciaux, le locataire aura intérêt à rester en possession du local afin que s’opère un nouveau bail qui sera qualifié de bail commercial.
Du côté du bailleur, s’il ne souhaite pas la transformation du bail dérogatoire en bail commercial, il aura un délai d’un mois à compter de l’échéance du preneur pour prendre toutes les mesures y compris en faisant délivrer une sommation de quitter les lieux par huissier pour démontrer sa volonté non équivoque de ne pas laisser son locataire en possession.
Parfois, le locataire et le bailleur sont tentés mutuellement de laisser poursuivre l’expérience sans tomber dans le statut des baux commerciaux. Les professionnels sont très souvent consultés pour tenter de trouver des échappatoires en clair, comment rester plus de 3 ans en possession d’un local sans bénéficier du statut des baux commerciaux ? Jusqu’en 2020, les professionnels avaient pris pour habitude de faire renoncer au locataire à l’issue de chaque bail dérogatoire le bénéfice de l’application du statut des baux commerciaux.
En effet, il a toujours été considéré comme possible de renoncer à un droit acquis même d’ordre public à condition que cette renonciation intervienne après en avoir retiré le bénéfice. Il suffit donc que le bail dérogatoire se transforme ne serait-ce que 24 heures en bail commercial pour que le locataire y renonce. Cette pratique était dangereuse car soit elle reposait sur la bonne foi du locataire qui une fois acquis le droit au bail commercial pouvait changer d’avis et ne pas y renoncer, soit parfois elle poussait les mêmes parties à anti dater la renonciation au bail commercial par avance ce qui constituait la confection d’un faux en écriture qui est une infraction pénale.
La Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 2020 (n°19-20.443) à mis fin à ces pratiques.
Elle a considéré que les parties ne pouvaient pas conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds de commerce dans les mêmes locaux à l’expiration d’une durée totale de 3 ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d’effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l'issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux
La Cour de cassation écarte donc le principe de la renonciation à un droit acquis…. mais les difficultés et les tentations persistent.
Dans un arrêt récent de la Cour de cassation (15 février 2023 n°21-12.698) un locataire reprochait à une Cour d’Appel (Bastia 2 décembre 2020) d’avoir constaté qu’il avait renoncé à la mutation de son bail dérogatoire en bail commercial et de l’avoir déclaré occupant sans droit ni titre.
La renonciation au statut du bail commercial lorsque le locataire se maintient en possession doit être non équivoque.
Or, la Cour d’Appel de Bastia avait considéré que la signature d’un protocole d’accord entre les parties qualifiant les loyers payés pour les années postérieures aux 36 mois d’occupation comme indemnité d’occupation et non qualifiée de loyers démontrait la volonté de sortir du cadre du bail commercial et de rester dans un statut dérogatoire.
Bien évidemment la Cour de cassation n’a pas approuvé cette motivation.
Elle a considéré que le raisonnement de la cour d'appel de Bastia ne caractérisait pas une renonciation non équivoque du locataire de se prévaloir du statut des baux commerciaux, dès lors que cette même cour d'appel avait constaté que le locataire était resté et avait été laissé en possession à l'expiration de la convention initiale dérogatoire.
Cet arrêt de la Cour de cassation est dans la ligne du précédent arrêt et du 22 octobre 2020 même s’il parait moins sévère et laisse à nouveau entrevoir des possibilités que l’arrêt de la Cour de Cassation du 22 octobre 2020 semblait condamné. Mais en cette matière, la prudence doit être de mise. Il faut en rester à la lecture stricte du texte tel qui découle de la loi Pinel du 18 juin 2014. Ne jamais laisser un locataire plus de 36 mois dans le cadre d’un bail dérogatoire sans quoi il faudra accepter l’application du statut des baux commerciaux.
Cet article n'engage que son auteur.
Historique
-
Fin de l’impression systématique des tickets de caisse : quels sont mes droits ?
Publié le : 25/04/2023 25 avril avr. 04 2023Entreprises / Marketing et ventes / Contrats commerciaux/ distributionLa loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillag...Source : www.eurojuris.fr
-
Révision d'un contrat d'exploitation d'une installation collective de chauffage sur le fondement de l'imprévision
Publié le : 17/04/2023 17 avril avr. 04 2023Entreprises / Marketing et ventes / Contrats commerciaux/ distributionLa théorie de l’imprévision est une notion issue du droit des obligations qui...Source : www.eurojuris.fr
-
Formation des élus : les droits individuels en augmentation de 100 € en 2023
Publié le : 14/04/2023 14 avril avr. 04 2023Collectivités / Services publics / Fonction publique / Personnel administratifL’article L. 2123-12 du code général des collectivités territoriales (CGCT),...Source : www.eurojuris.fr
-
L’amiante et la responsabilité de l’agent immobilier
Publié le : 12/04/2023 12 avril avr. 04 2023Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementEntreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierL’agent immobilier est tenu d’une obligation de conseil envers ses clients, e...Source : www.eurojuris.fr
-
Baux dérogatoires et baux commerciaux
Publié le : 07/04/2023 07 avril avr. 04 2023Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierAux termes de l’article L.145 -5 du Code de Commerce le bailleur et le preneu...
-
Occupation domaniale et rugby : l'essai transformé
Publié le : 31/03/2023 31 mars mars 03 2023Collectivités / Services publics / Service public / Délégation de service publicDans une décision du tribunal administratif de Grenoble du 6 février 2023 ren...Source : www.eurojuris.fr
-
Bail commercial et travaux réalisés sans autorisation du bailleur
Publié le : 30/03/2023 30 mars mars 03 2023Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierPar un arrêt rendu le 25 janvier 2023, la troisième chambre civile de la Cour...Source : www.eurojuris.fr
-
Bail commercial : Procédure collective et point de départ du délai de trois mois pour la résiliation
Publié le : 29/03/2023 29 mars mars 03 2023Entreprises / Contentieux / Entreprises en difficultés / procédures collectivesLe bailleur ne peut demander la résiliation du bail commercial pour non-paiem...Source : www.eurojuris.fr
-
Déontologie des infirmiers : concurrence déloyale et proximité d'installation
Publié le : 27/03/2023 27 mars mars 03 2023Entreprises / Marketing et ventes / ConcurrenceLorsque des praticiens mettent fin à leur relation d’exercice, qu’elle soit e...Source : www.eurojuris.fr
-
Faute du professionnel de santé et perte de chance : des données statistiques ne suffisent pas
Publié le : 22/03/2023 22 mars mars 03 2023Particuliers / Santé / Responsabilité médicaleEn 2010, une femme a accouché, par césarienne, d’un enfant présentant une inf...Source : www.eurojuris.fr
-
Legs en usufruit consenti à un concubin ou à un partenaire de pacte civil de solidarité (PACS) en présence d'enfant réservataire
Publié le : 20/03/2023 20 mars mars 03 2023Particuliers / Famille / SuccessionsIl est de pratique courante pour assurer la protection de son partenaire pacs...Source : www.eurojuris.fr
-
Bail d’habitation et modalités de remise des clefs
Publié le : 17/03/2023 17 mars mars 03 2023Particuliers / Patrimoine / Immobilier / LogementEn matière de baux d’habitation, libérer les lieux n’est pas suffisant : tant...Source : www.eurojuris.fr
-
Le bail emphytéotique administratif et l'obligation de consulter le service des domaines
Publié le : 17/03/2023 17 mars mars 03 2023Collectivités / Urbanisme / Ouvrages et travaux publics/ConstructionL'article L 1311 – 2 du code général des collectivités territoriales permet à...Source : www.eurojuris.fr
-
L’abandon de poste valant démission : Comment ça marche ? (Ou pas)
Publié le : 15/03/2023 15 mars mars 03 2023Entreprises / Ressources humaines / Discipline et licenciementFace à la recrudescence des abandons de postes stratégiques destinés à forcer...Source : www.eurojuris.fr
-
Bail commercial et danger de l'expulsion
Publié le : 14/03/2023 14 mars mars 03 2023Entreprises / Gestion de l'entreprise / Construction ImmobilierIl est parfois dangereux de procéder à l’exécution forcée d’une décision exéc...
-
L'exécution des contrats de la commande publique à l'épreuve de la hausse des prix de certaines matières premières
Publié le : 14/03/2023 14 mars mars 03 2023Collectivités / Marchés publics / ExécutionIl y a presque un an, le 30 mars 2022, les services du premier ministre publi...Source : www.eurojuris.fr
-
Nouvelle obligation de déclaration pour les propriétaires d’un bien immobilier en 2023
Publié le : 13/03/2023 13 mars mars 03 2023Particuliers / Patrimoine / FiscalitéDéclarez, déclarez, il en restera toujours quelque chose pour les impôts !...Source : www.eurojuris.fr
-
Abandon de poste et présomption de démission
Publié le : 13/03/2023 13 mars mars 03 2023Particuliers / Emploi / Licenciements / DémissionEntreprises / Ressources humaines / Discipline et licenciementUn nouvel article L 1237-1-1 a été inscrit dans le Code du Travail le 23 déce...Source : www.eurojuris.fr
-
La mise en place des référents déontologues des élus locaux à compter du 1er juin 2023
Publié le : 10/03/2023 10 mars mars 03 2023Collectivités / Services publics / Fonction publique / Personnel administratifL’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales pose la...Source : www.eurojuris.fr